Les
histoires sont les meilleurs moyens d’apprendre à vivre. D.H.
Lawrence
Au
passage de L'ile de Riou, un petit garçon blond m'est apparut en
rêve.
-
Acceptes-tu de parler avec moi ? Me demanda-t-il.
-
Il était si content de rencontrer un autre enfant - ça ne lui était
jamais arrivé - qu'il me posa beaucoup, vraiment beaucoup de
questions. Des « Connais-tu … ? », « Comment
fais-tu... ? », « Peux-tu … ? », « As-tu
déjà vu... ? », ou des « Penses-tu que … ?
« Sais-tu que … ? » … Mais il ne me demanda pas
comment je m'appelais et je n'eus le temps de répondre à aucune de
ses questions.
-
Tu ne dis rien, bon, ce n'est pas grave ! dit-il enfin. Les
adultes pensent que beaucoup de connaissances sont inutiles mais les
enfants, eux, savent bien qu'apprendre est dans notre vraie nature et
que c'est passionnant. Je suis explorateur vois-tu et chaque
exploration a pour moi, le pouvoir de follement m'amuser, chaque
découverte a pour moi, le pouvoir d'embellir ma vie. Sais-tu que je
vis sur une autre planète ?
-
Non ! Puis-je lui répondre enfin.
-
Ma planète est toute petite et j' y suis un peu seul parfois et un
peu à l'étroit aussi.
Là,
il se mit à pleurer à chaude larmes. J'étais navré, vraiment
désolé et je ne savais pas quoi faire.
-
J'ai pas envie de grandir ! Me confia-t-il tout à coup... Parce
que c'est bien d'être un enfant ! On peut s'amuser tout le
temps quand on est enfant. Les adultes, eux, ne s'amusent pas. J'ai
beaucoup visité ta planète, continua-t-il, et je trouve que les
terriens font toujours la guerre, qu'ils font du mal aux animaux,
qu'ils polluent et qu'ils détruisent leur si jolie planète bleue.
C'est pourquoi je suis reparti chez moi, ailleurs, loin dans le ciel,
là où j'ai décidé de pouvoir rester un enfant tant que je le
voudrai.
-
Moi, j'aimerais bien être un adulte ! lui répondis-je. Parce
que quand t'es grand, tu peux sortir quand tu veux, tu peux t'acheter
tous les jouets que tu veux, tu peux dormir quand tu veux, manger ce
que tu veux, tu peux faire tout ce que tu veux quand tu veux
comme tu veux ! Personne ne te dit rien.
-
Oui, mais les adultes font souvent n'importe quoi parce qu'il ne
savent pas ce qu'ils veulent ! Ils font les choses
machinalement, comme des robots. Quand ils nous disent par exemple,
de ne surtout pas faire ou dire quelque chose, eux, ils le font tout
le temps ! Comme boire de la bière, fumer ou dire des gros mots. Et
quand on leur dit qu'il ne faut surtout pas faire ou dire cela, ils
répondent ok d'accord puis te demandent de les laisser tranquille et
changent immédiatement de discussion. 5 minutes après ils ont
oublié et ils recommencent. Comment le sais-je ? Un jour, j'ai
rencontré sur une planète un buveur...
Nous
avons conversé ainsi longuement, à propos des « grandes
personnes ». Il se faisait une idée bien précise du monde des
grands !
-
… Quand on leur pose une question, ils ne nous répondent même
pas ! Les grandes personnes croient toujours tout savoir mais
ils ont perdu le sens de la discussion. Tout ce qui permet de
communiquer s'est évanoui le jour où cette croyance est apparue...
Et quand il y a plein de grandes personnes ensemble, ils ne font
carrément plus attention à nous. C'est vrai, on ne peut jamais
parler avec eux, ce n'est jamais le bon moment. Ils veulent tout le
temps qu'on leur fiche la paix, ou se reposer, ou bien ils préfèrent
regarder la télévision. Un jour, j'ai rencontré un téléspectateur.
Il disait qu'il était un téléspectateur moyen bien que je le
trouvais assez petit ! Il se tassait et rapetissait de jour en
jour devant sa télévision. Il la regardait 4 heures tous les soirs
de sa vie depuis son enfance. Il avait 60 ans et en faisant le
calcul, il avait déjà passé 15 ans de sa vie comme ça. Nul doute
qu'un jour, il disparaitra devant sa télévision sans que personne
ne s'en aperçoive.
-
Eh bien, moi, des fois, j'ai quand même hâte d'être grand !
Rétorquai-je avec courage. Ce que je voudrais le plus au monde c'est
devenir grand pour pouvoir réaliser mes rêves. Je voudrais être
capable de vivre mes rêves et faire ce que je veux de ma vie. Je ne
veux pas devenir riche ou célèbre moi, je veux devenir ce que j'ai
envie d'être et pas comme ces grande personnes dont tu me parles. Ça
vaut combien ça, hein? Je veux ce qui n'a pas de prix … Etre
moi-même mais en grand, tu comprends ? Je veux pouvoir partir
visiter ma planète pour la comprendre et l'aimer. Je veux découvrir
le monde et voir comment il est immensément riche et beau !Mais
comme je suis encore un enfant, j'ai un peu peur et je préfère
rêver que de partir. Apprends-moi à devenir un explorateur ?
lui demandais-je soudain.
-
Ton rêve est grand et pour passer du rêve à la réalité, ton rêve
doit cesser de t'intimider. Tu dois l'apprivoiser pour t'en faire un
bon compagnon. Un jour, j'ai rencontré un renard... Il faut
apprendre à ouvrir les yeux de ton cœur, voici ce qu'il m'a appris.
Ce n'est pas à ta tête de te commander, mais à elle de te servir
quand tu en as besoin. Ta tête est un outil, rien de plus, qui te
permet de mémoriser, d'organiser, d'analyser pour comprendre le
monde qui t'entoure... Apprends à ouvrir les yeux de ton cœur, ne
crains rien car l'essentiel est invisible pour les yeux. Ta
liberté commence là. Chasse ce visage pâle, reprend ton être en
main. Pour devenir maître de toi-même, commence ainsi : Es-tu
capable de t'arrêter de penser un instant ?
-
Oui, lui répondis-je, évidemment !
Mais
je n'y réussi pas ! J'étais assailli d'images, de mots. Une
voix intérieure m'habitait qui ne me permettait pas d'être attentif
à autre chose qu'à elle-même. Elle me parlait même sans que le
veuille. J'étais furieux contre moi-même et là, ce fut à mon tour
de pleurer à chaudes larmes.
-
C'est bien plus facile de se taire que de ne pas penser !
Râlais-je, boudeur.
-
Pourquoi t'abandonner au désespoir qui te maintient dans l'échec
depuis la nuit des temps? Pleurer ou se plaindre n'ont jamais porté
bonheur. L'
exercice que je te demande est difficile. Déjà tu croyais savoir
avant même d'avoir essayé ! Il te faudra prendre le temps pour
beaucoup de choses avant de savoir regarder, écouter et faire sans
penser. Prends juste le temps, voilà tout. Lève toi de bonne heure
et regarde le soleil se lever par exemple. Chaque matin, la nature
toute entière s'éveille avec lui. Le soleil donne vie à toute
chose et dans les temps anciens bien des peuples l'ont vénéré
comme un dieu. Puis un jour, l'homme a choisi de dormir à l'heure où
le miracle eut lieu. Sa vie devint alors une longue inconscience de
rien du tout. Il s'oublia et dormit d'un sommeil si profond, qu'il le
coupa net de son enfance. Depuis, il ne rêve plus, ni endormi, ni
éveillé. Il a l'air d'être mort et pourtant il ne l'est pas. Il a
l'air d'être vivant et pourtant il ne l'est pas. Il fait et refait
automatiquement sans cesse les même choses. Chaque jour se succède
et se ressemble. Ainsi croit-il avoir triomphé de la peur.
Il
se mit à rire de bon cœur.
-
Je te propose de commencer à voyager sans bouger. Le monde est à ta
fenêtre. Lève toi et profite de la vie. Sois avec la nature comme
on entre dans les pages d'un livre, dans une carte du globe terrestre
ou comme on passe une porte. Il te suffit de choisir. De choisir de
faire parti du miracle de vivre pour que la magie opère de nouveau.
-
Oui, je comprends : je
ne peux vivre si je m'absente ! Dans la vie, nous recevons ce
que nous donnons. On dit qu'on récolte ce que nous semons. J'ai eu
la leucémie à 2 ans ½. Je ne pouvais pas sortir. Je ne pouvais
plus voir mes copains et ne pouvais pas avoir d'animaux. Alors j'ai
mis beaucoup de rêve dans ma vie et le merveilleux m'a beaucoup
aidé. Il m'a permis de collaborer à des soins qui, sans
l'imaginaire, auraient été très douloureux. L'une de mes mamans
m'accompagnait pendant le soin. Tantôt l'une ou tantôt l'autre
selon. Elle me tenait fort sur les genoux et me suggérait à
l'oreille une histoire à laquelle me raccrocher. Cette distraction
me permettait de trouver une porte d'entrée et d'accéder à un
monde imaginaire très protecteur. J'étais comme dans une bulle.
Quand l'histoire était finie, les soins l'étaient aussi, sans que
j'eus à souffrir. C'est ainsi que j'ai découvert la magie. Pas
celle qui fait apparaitre des lapins dans des chapeaux, qui rend
invisible ce qui dérange, ou qui donne le pouvoir de changer les
choses. Non, j'ai découvert celle qui fait voyager, celle qui fait
franchir des frontières bien plus importantes que les frontières
géographiques : nos frontières personnelles. Les formules
magiques existent. Tout devient possibles avec un simple : « il
était une fois... ». Se dire : « Et si ... »
est aussi très puissant. Mes rêves m'ont tellement fait voyager !
J'aimerais maintenant que ce soit au tour du voyage de me faire
rêver ! Mais
tu as raison, lui dis-je. Le jour où la Nature sera trop malade de
pollution, le jour où toutes les villes se rejoindront, le jour où
nous mangerons tous la même chose, le jour où l'autre me
ressemblera alors nous n'aurons plus rien à échanger... Alors
nous ne voyagerons plus ! L'étincelle de la vie nous est donnée
mais c'est nous qui construisons notre monde. Je suis un enfant et
j'ai bien sûr l'audace naturelle de penser que le monde
m'appartient. Alors j'accepte d'être l'enfant qui hérite de tout
cela sans juger mes paires pourvu que je puisse vivre et demeurer
présent à ce qui est.
-
Je te remercie de ces paroles bienfaisantes, me dit-il. Ne
te coupe jamais de l'enfant que tu es. Tu viens d'avoir l'âge de
raison, 7 ans, et comme tout enfant, tu vas traverser bien des
épreuves pour devenir adulte. Souviens toi toujours à l'intérieur
de toi de l'enfant que tu es. Promets-moi ! Si toutes les
grandes personnes se souvenaient de l'enfant qu'elles ont été, sans
doute qu'elles ne se négligeraient plus et sans doute qu'elles
construiraient avec toi le monde dont nous rêvons tous.
Quand
on veut on peut... Et plus on peut, plus on sait ce qu'on veut !
Bon voyage Esteban ! me lança-t-il.
Et
il partit comme il était venu. Je ne sus jamais comment il avait
deviné mon nom et n'eus pas le temps de lui demander le sien.
D'après
toi comment s'appelle ce petit garçon ?
Et
pourquoi l'ai-je rencontré aux abords de l'île de Riou ?